David Charles (1967-2025)

Membre du Groupe Hugo, comme il n’oubliait jamais de le rappeler dans ses notices autobiographiques qui se distinguaient par leur concision, David Charles avait préparé sa thèse sous la direction de Guy Rosa au début des années 1990. Il avait lui-même trouvé son excellent sujet : La Pensée technique dans l’œuvre de Victor Hugo. À l’instar de Bernard Leuilliot et de Jean Gaudon, mais par une indépendance d’esprit qui était aussi l’un de ses traits de caractère, il n’avait pas l’agrégation, et s’en passait fort bien. Il avait soutenu sa thèse à Paris 7 le 25 novembre 1994 au matin ; dans l’après-midi du même jour Ludmila Wurtz soutenait la sienne avec le même directeur, et tous deux pareillement vêtus – annonce encore jamais vue dans ces circonstances d’un mariage à venir, et plus tard deux enfants beaux et brillants comme eux, Simon et Lara. Florence Naugrette avait soutenu sa thèse la semaine suivante, Véronique Dufief la semaine précédente, et tous les quatre avaient eu un poste au printemps d’après. Lui avait été élu maître de conférences à l’Institut universitaire de technologie du Havre, qui allait être son port d’attache pendant près de trois décennies, le temps d’ouvrir la filière de Lettres modernes de l’Université Le Havre Normandie – ce qui allait accessoirement lui permettre de couvrir plusieurs fois la distance de la Terre à la Lune sur la ligne de Paris-Saint-Lazare au Havre, qui est celle de La Bête humaine, et donc de s’intéresser à la fois à Jules Verne et à Émile Zola. Mais en attendant il se retrouvait au confluent de la Seine et de la Manche – la tragédie de Villequier en amont, le drame de l’exil en aval –, ce qui entrait aussi en résonnance avec son sujet de thèse, où Les Travailleurs de la mer étaient à l’honneur.

Le livre qu’il en avait tiré, sous-titré Le bricolage de l’infini, avait eu le privilège d’être publié aux PUF en 1997 avec la même maquette que Le Calcul des profondeurs de Jacques Seebacher quatre ans plus tôt, celle de la collection « Écrivains » dirigée par Béatrice Didier : divers mais tous deux marqués par la puissance de la pensée et la densité du style, l’art de l’ellipse et de la clausule, ils y sont bien à leur place, et forment pour toujours une sorte de diptyque, comme les roches jumelles des deux Douvres. Pour le bicentenaire de Victor Hugo, David Charles procura au Livre de Poche classique une nouvelle édition des Travailleurs de la mer, précédée de L’Archipel de la Manche, ce qui impliquait de se confronter à celle, indépassable en son genre, d’Yves Gohin dans la Pléiade. Pari aussi difficile à remporter que celui de Gilliatt, mais qu’il affronta avec la même intrépidité tranquille, et le même succès : près d’un quart de siècle après sa sortie, long espace de temps dans la vie d’un livre, a fortiori de poche, même classique, son édition reste la référence, et n’est pas près d’être remplacée.

Exigeant et perfectionniste, d’abord envers lui-même (il poussait ce zèle jusqu’à reprocher aux membres de son jury de thèse, dans son document d’habilitation, d’avoir été trop indulgents à son égard sur certains points), David Charles publiait toujours à bon escient des textes maîtrisés dans des ensembles choisis. La liste de ses éditeurs, au sens scientifique du terme, dresse un portrait cohérent de son univers dominé par la prose, la politique et l’histoire, de Gabrielle Chamarat à Paule Petitier en passant par les trois Alain (Corbin, Pagès, Vaillant), mais aussi Jean-Marie Mayeur, Jean-Louis Cabanès, Frank Wilhelm et alii, et la revue Romantisme, où il écrivait régulièrement et dont il avait dirigé le numéro 150, en décembre 2010, intitulé La Technique.

« La connaissance de l’œuvre de Hugo est une clef qui ouvre les œuvres de ses contemporains » : suivant ce principe qu’il avait lui-même énoncé, il avait publié des articles novateurs sur Mérimée, Jules Verne et Jules Vallès. Mais sans jamais perdre Hugo de vue c’est à Zola, du côté politique et génétique, qu’il consacra l’inédit de son Habilitation à diriger des recherches, soutenue dans la salle des Actes de l’École normale supérieure le 9 janvier 2016 – première habilitation jamais délivrée en littérature par la toute nouvelle école doctorale de la rue d’Ulm, non sans peine puisque l’ordinateur central s’évertuait à le confondre avec d’autres Charles inscrits dans ses fichiers. Émile Zola et la Commune de Paris, Aux origines des Rougon-Macquart fut publié dès l’année suivante aux Classiques Garnier. 

Son dernier défi, et non des moindres, a été de diriger avec Claude Millet le Dictionnaire Victor Hugo paru il y a deux ans aux Classiques Garnier : une genèse étalée sur plus de deux lustres, une grosse cinquantaine de collaborateurs appartenant à trois générations de chercheurs, plus d’un millier d’entrées, près de mille deux cents pages dont cent de bibliographie… Le résultat, un pavé jaune vif pesant plus de trois livres, est une nouvelle fois à la hauteur de l’effort, prométhéen, et du sujet, Hugo : il vaut et vaudra à ses codirecteurs la reconnaissance éternelle des spécialistes comme des amateurs. Il n’en aura pourtant pas profité longtemps. Il a rejoint beaucoup trop tôt Jean-Claude Fizaine, Bernard Leuilliot, Yvette Parent et Jean-Pierre Reynaud, ses collaborateurs disparus en chemin. Son nom, qui apparaît sur la couverture et sous une cinquantaine de notices, parmi les meilleures, fera assurément à son tour l’objet d’une notice dans un prochain dictionnaire Hugo, accompagné de ces dates désormais figées, 1967-2025. Perspective qui n’enlève rien à la peine de perdre en cours de route un si bon compagnon, élégant et discret, curieux et cultivé, ferme et souriant, qui avait poussé le souci des autres, comme l’enfant de Sparte rongé par un renard auquel Victor Hugo s’identifie dans Les Voix intérieures, jusqu’à ne rien leur laisser deviner de la longue maladie qui a fini par l’emporter.

J.-M. H.

 

Jean Delabroy est mort soudainement le 21 février 2024. Professeur adulé et grand professeur – l’un n’exclut pas l’autre. Il ne participa pas régulièrement aux réunions du Groupe Hugo ; il en faisait pourtant bel et bien partie par le tissu des amitiés, par le succès des thèses suscitées et guidées (Franck Laurent, Jérôme Lion, Cho Eun Sub), par l’écho que la voix de Hugo trouvait dans la sienne au cours de son enseignement et de ses conférences. Mineure dans sa production littéraire et critique –il était spécialiste de J. Verne e t de littérature comparée–, sa bibliographie hugolienne reste remarquable. De lui, ce site ne recueille que « Coecum - Préalables à la philosophie de l'histoire (Lire Les Misérables, Corti, 1985), mais les études d’autres auteurs renvoient avec une insistance justifiée à « ‘’L’accent de l’histoire’’. Sur 1848 et Les Misérables » (Lendemains, n° 28, Berlin, 1982, repris dans Victor Hugo, Les Misérables, Klincksieck, 1995), l’édition de La Légende des siècles, Nouvelle série (Œuvres complètes, vol. Poésie III, Laffont, « Bouquins », 1985 et 2002) ; « ‘’Laissez donc se dégager l’inconnu !’’ Hugo et Mirabeau en 1834 » (Hugo le fabuleux – Cerisy 1984, Seghers, 1985 ; « ‘’L’aïeul sans limites’’ de L’Art d’être grand-père » (Choses vues à travers Hugo, PUV, 2007) ; « Hugo et les petits » (Hommes & Libertés – revue de la LDH, 2002).

 

Yvette Parent a quitté ce monde la nuit du 23 au 24 septembre 2023. Elève d’Annie Ubersfeld au lycée de Rouen, - c’était dans les années 50 -, elle était devenue et restée son amie et avait suivi ses traces : professeur de Lettres, de lycées provinciaux au Marcelin Berthelot de Saint-Maur, militante tous terrains (entre autres aventures son aide au FLN lui avait valu un séjour dans les prisons espagnoles d’où Annie l’avait laborieusement tirée), passionnée de d’écrire. Jeune, elle avait entrepris un doctorat conjuguant son goût de la lexicologie et son intérêt pour Hugo ; passés les empêchements de la vie, elle y revint et l’acheva, retraitée, sous la conduite de Jean-Marc Hovasse. L’accueil du Groupe Hugo l’y avait encouragée ; elle y était fidèle, y intervint souvent pour les communications de sa spécialité qu’on peut lire ici et aussi dans les discussions. Elle y était pédagogue et peu académique. Son fils unique, filleul d’Annie, enseigne aussi, mais le théâtre.