Présents : Mmes Chantal Brière, Shelly Charles, Caroline Julliot, Claude Millet, Christine Moulin, Marguerite Mouton, Yvette Parent, Marie Perrin-Daubard, Sylvie Vielledent, Judith Wulf ; MM. Jordi Brahamcha-Marin, Pierre Burger, Jean-Marc Hovasse, Jean-Pierre Langellier, Franck Laurent, Denis Sellem, Vincent Wallez.
Informations
Publications
Claude Millet signale la publication d'un Claude Gueux, en Folio, dû à Arnaud Laster.
Judith Wulf fait circuler son Étude sur la langue romanesque de Victor Hugo, premier livre de la collection « Victor Hugo » chez Classiques Garnier. Elle se réjouit de l’existence de cette collection : pour une stylisticienne comme elle, il est précieux de pouvoir montrer la dimension centrale de la question de la langue chez Hugo, d’un point de vue à la fois technique et historique. La postérité stylistique de Hugo a souffert de deux problèmes : d’une part, du fait que la langue du XIXe siècle ait été peu étudiée comme telle ; d’autre part, du fait que Hugo ne paraisse pas central aux stylisticiens qui se sont penchés sur le XIXe siècle : les études de cas l’évitent. Les segments hugoliens semblent difficiles à isoler et à utiliser… En tout cas, il est frappant (et regrettable) que les linguistes dix-neuviémistes utilisent si peu Hugo. À la rigueur, ils utilisent Quatrevingt-treize….
Claude Millet signale que le style de Hugo change beaucoup dans Quatrevingt-treize, et devient plus ramassé, tacitéen… Elle recommande la lecture du livre de Judith Wulf – lecture très stimulante, fondée sur une approche de la stylistique qui ouvre au sens, et au sens philosophique.
Claude Millet en profite pour annoncer les prochains titres à paraître dans cette collection : la thèse de Hiroko Kazumori (sous la direction de Guy Rosa) sur Ruines et ruine dans l’œuvre de Victor Hugo, ainsi qu’un livre de Franck Laurent sur Hugo et la politique. Mais toutes les propositions sont bienvenues : on les attend !
Nos hommes politiques
Chantal Brière mentionne le tweet malencontreux de Nicolas Sarkozy, par lequel ce dernier faisait état de sa lecture de Mille neuf cent quatre-vingt treize (sic), de Hugo. Les twittos se sont déchaînés et ont donné libre cours à leur imagination parodique, évoquant qui Le Père Borloo, de Balzac, qui Madame Balkany, de Flaubert…
Franck Laurent, plus indulgent, trouve ces réactions un peu méchantes : beaucoup de gens font cette erreur…
Franck Laurent signale que le discours de François Hollande à La Havane, dans le cadre du voyage présidentiel à Cuba, a été prononcé à la Maison Victor-Hugo.
Jean-Pierre Langellier rappelle, à cette occasion, que Hugo est très populaire en Amérique latine. Il a lui-même donné une conférence sur Hugo à Cordoba, en Argentine, récemment : c’était à neuf heures du soir, et il y avait une centaine de personnes dans le public. Franck Laurent est invité, au printemps prochain, à Buenos Aires, dans le cadre du congrès des professeurs de français : l’idée d’une intervention sur Hugo a tout à fait séduit les organisateurs.
Programme de concours
Judith Wulf signale que Quatrevingt-treize sera au programme du concours des ENS de Lyon et d’Ulm en 2016.
Claude Millet : Il faut organiser une journée d’étude, comme on l’avait fait en 2013 quand Cromwell et Le Faiseur étaient au programme. Outre l’intérêt scientifique, cela permet de montrer aux khâgneux et à leurs professeurs ce que c’est que l’université.
Franck Laurent annonce qu’une journée d’étude sur Quatrevingt-treize sera organisée au Mans.
Colloque
Claude Millet rappelle qu’il y aura un colloque à Bruxelles, du 18 au 20 juin, intitulé : « La chose de Waterloo » : fortune et sens d’une bataille en littérature.
Prochaine communication au Groupe Hugo
Caroline Julliot et Franck Laurent tiennent à rectifier le sujet de leur communication prochaine au Groupe Hugo (samedi 13 juin). Ce ne sera pas « Poésie et politique », mais « L’âme romantique et la citoyenneté ». Cette intervention s’inscrit dans la suite d’une communication qu’ils avaient donnée en 2013, à l’Abbaye de Fontevrault, dans un colloque intitulé Sujet, fidèle, citoyen, espace méditerranée et européen (Ve – XXe siècles).
Hugo et Louise Michel
Marie Perrin-Daubard a lu les trois derniers romans de Louise Michel. Elle a été sidérée par les liens tissés avec Hugo, notamment dans le style. Louise Michel réécrit L’Homme qui Rit ! Mais c’est vraiment insupportable à lire. L’auteur fait souffrir ses personnages, ne nous épargne ni meurtres, ni viols, ni torture… Et tout s’achève sur une fin du monde – tout ça pour montrer que ce monde est pourri.
Claude Millet rappelle que Claude Rétat a travaillé à la fois sur Victor Hugo et sur Louise Michel, mais elle ignore si elle a connecté les deux auteurs dans ses recherches.
Au nom du Groupe Hugo, Claude Millet accueille Shelly Charles, chargée de recherches au CNRS, spécialiste du roman français du XVIIIe siècle et de l’Empire. Elle a eu le plaisir de l’entendre sur Pigault-Lebrun dans un colloque, à Toulouse, intitulé Une période sans nom : les années 1780-1820 et la fabrique de l’histoire littéraire (avril 2014). Or les hugoliens (dont elle-même!) enchaînent imprudemment les sottises sur cet auteur : une mise au point est bienvenue !
Communication de Shelly Charles : Pigault-Lebrun dans Les Misérables. (voir texte joint)
Communication de Marie Perrin-Daubard: L'art de la préface chez Hugo (voir texte joint)
Discussion
Discussion de la communication de Shelly Charles
Claude Millet remercie Shelly Charles pour sa belle communication, qui engage la question du réalisme, du matérialisme… ainsi que celle des rapports entre du roman populaire et pédagogie. Il est utile et nécessaire de rappeler la dimension pédagogique des Misérables : on a toujours tendance à récuser les lectures naïves de ce roman comme texte à thèse, pour affirmer sa dimension philosophique, pensive, etc. Mais il faut aussi dire qu’il y a chez Hugo une véritable réflexion sur la responsabilité du romancier populaire, et sur la nécessaire orientation du sens. L’exposé faisait bien ressortir cette dimension du roman, à la fois livre d’apprentissage pour le peuple et livre philosophique pour les élites.
Sur La Bohême dorée
Jean-Marc Hovasse trouve très intéressantes les informations sur La Bohême dorée de Charles Hugo comme source des Misérables (Charles écrit aussi La Famille tragique au même moment : c’est une autre source possible). Le rôle de Charles est toujours très important, comme dans l’affaire des tables… Il manque une étude de fond sur lui.
Shelly Charles confirme que l’histoire de La Bohême dorée est vraiment la même que celle des Misérables. Elle résume ce roman, en montrant les points de ressemblance avec Les Misérables, qui sont nombreux.
Claude Millet demande si le champ de bataille où Egurral détrousse les cadavres est celui de Waterloo. Sans doute, répond Shelly Charles, mais ce n’est pas précisé. Egurral a une longue carrière…
À propos de cette figure du soldat devenu comédien, Franck Laurent rappelle qu’il y a une figure inverse dans l’univers hugolien : le maréchal Saint-Arnaud. Son passé de comédien est d’ailleurs rappelé dans un poème-charge des Châtiments.
Il y aurait aussi une étude à faire aussi sur la figure du soldat dégradé, et la dégradation militaire.
Pigault-Lebrun et Ducray-Duminil
Marie Perrin-Daubard s’interroge sur les rapports entre Pigault et Ducray-Duminil, et les autres auteurs populaires. Pourquoi Hugo a-t-il choisi Pigault par rapport aux autres ?
Shelly Charles répond que Pigault et Ducray-Duminil n’ont pas du tout les mêmes univers. Dans les histoires littéraires, ils apparaissent toujours en couple… alors que leurs univers et leurs poétiques sont tout à fait distincts. Ducray-Duminil relève d’une veine gothico-sentimentale, c’est le spécialiste du mystère familial, et notamment du mystère de la naissance. Son personnage-type, c’est l’orphelin dont on apprend finalement l’origine. C’est pour cette raison qu’il entre dans Les Misérables. Dans La Bohême dorée, quand Egurral feuillette Ducray-Duminil, c’est parce qu’il s’apprête à faire chanter un mari sur l’identité de la femme qu’il a épousée : il doit s’inspirer, alors, d’un roman sur les mystères de famille… Chez Pigault-Lebrun, au contraire, l’identité des personnages est toujours claire.
Franck Laurent ajoute que Pigault-Lebrun est un libéral voltairien ; pas Ducray-Duminil ! C’est cela d’abord qui est important pour Hugo. Ce dernier, dans Les Misérables, est très ferme sur sa condamnation du matérialisme et de l’athéisme.
Et puis Pigault est actif jusqu’à la fin de la Restauration. Il appartient à cette période historique que tout le roman honnit, tous bords politiques confondus. Les attaques de Hugo contre Pigault sont peut-être l’expression de ce jeu de massacre contre les célébrités culturelles de la Restauration… Mais Shelly Charles objecte que Pigault-Lebrun fréquentait très peu les milieux littéraires ; il a été découvert par la critique au début des années 1822 (dans des journaux libéraux), et ne pouvait pas apparaître à Hugo comme participant à un système rejeté.
Hugo a-t-il rencontré Pigault-Lebrun ?
À une question de Franck Laurent, Jean-Marc Hovasse répond qu’il ne croit pas que les deux auteurs se soient rencontrés. Hugo, poursuit Jean-Marc Hovasse, a dû le lire dans un cabinet de lecture : Pigault y était très lu, et Hugo, enfant, y allait beaucoup. D’après Jacques Seebacher, il y a à peu près tout lu…
Une anecdote
Shelly Charles signale que dans un carnet de voyage, Hugo mentionne un « bon curé qui lit son bréviaire ». Mais le bon est barré, et son bréviaire est biffé et remplacé par Pigault-Lebrun…
Discussion de la communication de Marie Perrin.
Claude Millet remercie et félicite Marie Perrin-Daubard pour cet impressionnant travail.
À qui s’adressent les préfaces ?
Claude Millet remarque qu’il y a une vraie mutation dans les préfaces de Hugo d’avant l’exil. Les premières s’adressent au critique, les suivantes au lecteur. Or cela change beaucoup de choses ! Tant qu’on s’adresse au critique, on est dans une problématique de romantisme militant. Quand on s’adresse au lecteur, cela veut dire que la bataille est gagnée. Le lecteur est celui qui est à l’écoute du sens, de ses enjeux…
Les préfaces lissent le texte
Claude Millet constate que les préfaces simplifient souvent violemment le texte. La préface de Lucrèce Borgia prétend que le sujet de la pièce, c’est le sublime amour maternel surgissant du sein de la monstruosité. Or le texte montre que cet amour est lui-même monstrueux ! Bref, la préface lisse beaucoup le texte.
Redondance préface/texte et amenuisement des préfaces
Claude Millet : Les effets de redondance entre préface et texte sont importants pour la poésie (préambule, préface en vers…).
Franck Laurent précise que dans les recueils d’avant l’exil il y a parfois un jeu de doublon entre la préface et le premier poème. C’est clair pour Les Feuilles d’automne et Les Chants du crépuscule. Dans Les Feuilles d’automne, « Ce siècle avait deux ans… » reprend la veine personnelle de la préface. Mais il y a aussi le dernier poème du recueil, qui annonce le recueil suivant : « Novembre », dans Les Orientales, annonce Les Feuilles d’automne, et « Amis, un dernier mot… », dans Les Feuilles d’automne, annonce la partie politique des Chants du crépuscule.
C’est cette redondance préface/texte, poursuit Franck Laurent, qui explique cette tendance à l’amenuisement des préfaces : une partie des choses qu’il aurait pu mettre dans ses préfaces, Hugo les met dans le texte. C’est évident dans le cas des Misérables : les échanges de Hugo avec son éditeur Lacroix montrent que Hugo consent à faire une préface de quatre lignes, à condition qu’il mette de longs passages réflexifs dans le roman. C’est peut-être vrai aussi dès Notre-Dame de Paris avec « Ceci tuera cela » ; et dans Les Travailleurs de la Mer avec « Sub Umbra ». Les romans de Hugo comportent de plus en plus d’éléments méta. (Sauf peut-être pour Quatrevingt-treize, moins digressif que les autres…) Du coup, Hugo devient un spécialiste de la préface brève, ce qui n’est pas un mince exploit quand on sait d’où il vient !
Claude Millet signale la préface à la Première Série de la Légende des siècles comme exception à la tendance à la préface brève. Mais Hugo est obligé de faire long : il doit expliquer que c’est une partie d’un tout, mais qui forme un tout…
Franck Laurent ajoute le cas des préfaces aux Actes et Paroles. Mais la longueur des préfaces, dans ce cas, va de pair avec la constitution des Actes et paroles en mémoires.
Autonomisation des préfaces
Claude Millet : L’autonomisation de la préface en manifeste (cas de William Shakespeare) doit être resituée dans un contexte où Hugo dit que le romantisme est terminé, et veut réélaborer un manifeste littéraire du XIXe siècle. Il a l’air de comprendre que de nouvelles choses sont en train d’apparaître, en même temps qu’il veut se battre contre l’anti-romantisme officiel…
Le plus bel exemple d’autonomisation d’une préface, c’est l’édition Robert Laffont, qui sépare Cromwell de sa préface. Il y a d’ailleurs une longue tradition critique qui écrit La préface de Cromwell, tout en italique, comme s’il s’agissait d’une œuvre. Elle commence très tôt : les notes de William Shakespeare typographient tantôt Préface de Cromwell ; tantôt Préface de Cromwell. Maurice Souriau lui donne son aboutissement en publiant séparément une édition critique de cette préface.
Jean-Marc Hovasse ajoute que les préfaces aux Actes et paroles ont été publiées à part aussi, en plaquettes, en même temps que les volumes.
Franck Laurent précise que le premier volume des Actes et paroles a paru sans préface, en 1872. Les préfaces n’arrivent qu’en 1875, avec l’édition des deux premiers volumes.
Vincent Wallez mentionne le Post-scriptum de ma vie, préface à l’édition ne varietur, et L’Archipel de la Manche, préface aux Travailleurs de la mer. Claude Millet propose, pour ce dernier exemple, de parler de hors-d’œuvre plutôt que de préface. Hugo, du moins, n’en parle pas comme d’une préface.
Dispositifs intertextuels dans les préfaces
Franck Laurent signale le cas de la préface d’Hernani, qui cite longuement la lettre-préface au Sylphe de Charles Dovalle. On se demande pourquoi Hugo la cite si longuement : ça n’a rien à voir avec Hernani ! Mais c’est dans cette lettre-préface qu’il écrit la fameuse formule sur le romantisme comme libéralisme en littérature. S’autociter dans la préface d’Hernani relève de la stratégie, il sait que ça va être beaucoup lu.
Les préfaces du Dernier Jour d’un condamné
Franck Laurent remarque que « Comédie à propos d’une tragédie », qui sert de préface au Dernier Jour d’un condamné, est calquée de manière très évidente sur la Critique de l’École des femmes de Molière. La préface de 1832, en revanche, n’est pas vraiment une préface. Elle ne parle pas vraiment du roman… Hugo profite simplement de la réédition du roman pour reparaître dans l’arène publique. C’est son premier pamphlet politique ; de même que la même année sa plaidoirie au procès du Roi s’amuse est son premier discours politique. On est dans un cas où la préface sert à autre chose qu’à préfacer !
Hugo préfacier pour les autres
Claude Millet rappelle que Hugo aussi fait des préfaces pour les autres.
Jean-Marc Hovasse propose une première liste (non exhaustive) : Le Sage, Histoire de Gil Blas de Santillane (1819) ; Choix moral de lettres de Voltaire (1824) ; Charles Dovalle, Le Sylphe (1830) ; Wilhelm Ténint, Prosodie de l'école moderne (1844) ; Théodore de Banville, Odes funambulesques (1859, 2e édition) ; Théophile Gautier, Charles Baudelaire (1859) ; ainsi que la préface aux traductions de Shakespeare par François-Victor Hugo chez Pagnerre (1864), et Les Hommes de l'exil de Charles Hugo (1875), préfacé par Mes fils...
Les avant-propos de l’éditeur
Franck Laurent signale le cas amusant de l’avant-propos au Retour de l’Empereur, qui se présente comme écrit par l’éditeur, mais qui est au minimum très inspiré par Hugo lui-même.
Jean-Marc Hovasse propose un parallèle avec la préface des Châtiments en 1870 : c’est Hetzel qui signe. Franck Laurent souligne la complexité du système de préfaces des Châtiments.
Hugo et l’Espagne
Un livre…
Marie Perrin-Daubard est également en train d’écrire un article sur Hugo et l’Espagne. Elle a lu Victor Hugo et l’Espagne, de José Manuel Losada Goya (chez Honoré Champion), qui il consiste essentiellement en un travail de décryptage d’allusions plus ou moins opaques. Mais on trouve, ponctuellement, des choses intéressantes.
…et quelques pistes
Des suggestions fusent : on s’accorde à dire que l’Espagne de Hugo est un univers à la fois érotique et violent ; on rappelle ses notations érotiques en espagnol dans ses carnets ; on se souvient du fait qu’il appelle Besançon « vieille ville espagnole » ; on souligne la veine hispanisante de ses chansons ; on mentionne aussi Pepita, les voyages en Espagne…
Franck Laurent corrige une erreur d’Anne Ubersfeld : Sol comme prénom ne signifie pas « soleil », c’est l’abréviation de Soledad. Doña Sol, c’est Madame Solitude !
Quant à Hernani : il s’agit d’une localité basque dont le nom s’écrit Ernani en castillan mais Hernani en basque. Il ne faut donc pas trop rêver sur le H que Hugo a rajouté, ce n’est pas le H de Hugo…
Caroline Julliot rappelle que l’espagnol est la seule langue étrangère que Hugo sait parler. Assez mal, précise Franck Laurent, il fait beaucoup de fautes ; mais c’est la seule langue qu’il a à sa disposition pour faire exotique !
Jordi Brahamcha-Marin