Présents : Guy Rosa, Jean-Marc Hovasse, Arnaud Laster, Jeanne Stranart, Claire Montanari, Brigitte Buffard-Moret, Denis Sellem, Pierre Georgel, Pascaline Wadi, Yvette Parent, Brigitte Braud-Denamur, Patrice Boivin, Arnaud Laster, Pierre Burger, Françoise Chenet et Florence Naugrette.

Informations

- Conférence le 27 mars de Pierre Georgel et Marie-Laure Prévost, responsable du fonds Hugo à la bibliothèque nationale (dans le cadre du cycle de conférences « Des œuvres et des hommes ». L'intervention de M.-L. Prévost portera sur le manuscrit de L'Homme qui rit, celle de Pierre Georgel sur la constitution du fonds Hugo pour sa partie concernant l'oeuvre graphique de Hugo; la conférence aura lieu à l'INHA.

 

- En février, le journal Le Monde publie un hors-série sur Victor Hugo. Jean-Marc Hovasse est en charge du projet. Les candidats à l'élection présidentielle, pour la plupart, y contribuent.

 

- La municipalité de Besançon rouvre prochainement la maison où est né Victor Hugo, et organise des festivités et des publications.

 

- Un film adapté de L'Homme qui rit est en cours de tournage.

 

- Arnaud Laster signale le 6ème festival Victor Hugo et égaux : Victor Hugo et George Sand, du 1er au 29 février 2012. C'est l'occasion de revoir Les Burgraves à l'écran, ainsi que le chef-d'œuvre cinématographique L'Homme qui rit (réalisé par Paul Leni en 1928). Il signale aussi une représentation d'Hernani au théâtre des deux-rêves, 45 places. Peu  de moyens, mais le texte est dit avec une grande clarté, sans aucun écran. Deux acteurs étaient excellents. Ils incarnaient magistralement Don Carlos et Dona Sol. On y a fait de Ruy Gomez un personnage tout à fait grotesque.

 

- Guy Rosa avait préparé une intervention sur le mise en scène de Ruy Blas par Christian Schiaretti. Pour ne pas bousculer cette séance occupée par deux communications, il le communiquera par écrit sur le site.

 


Communication de Florence Naugrette : Une lettre de Juliette, source du poème des Contemplations: "Paroles dans l'ombre" (voir texte joint)


Discussion

Guy Rosa : Il y a du biographique dans la poésie lyrique, c’est évident. Mais il s'agit ici d'autre chose et qui n'est pas banal: de la mise en vers d’un écrit antérieur, d’une lettre, alors que la poésie lyrique passe pour le lieu de l’intériorité.

Jean-Marc Hovasse : Mais ici le poème signale la citation dès le premier vers.

Guy Rosa : « la plume qui tombe », c’est intéressant par rapport à ce phénomène de réécriture.

Pierre Georgel : Il existe des articles de journaux mis en vers littéralement.

Arnaud Laster : Autre remarque : il n’y a pas de rapport de servitude entre la colombe et le lion. Il ne faut pas trop y voir une figure de serviteur.

Jean-Marc Hovasse : le vers « vous êtes mon lion, je suis votre colombe » peut faire référence à Hernani.

Pierre Georgel : c’est plus une image de tendresse et d’intimité que de servitude.

Guy Rosa : « Elle disait ». Il aurait dû écrire : « elle écrivait ». Cela banalise beaucoup la réalité de la genèse du poème. C’est banal de mettre en forme les paroles d’un autre. C’est beaucoup plus singulier de lettre en forme un écrit.

Pierre Georgel : l’imparfait est intéressant. Car s’il est itératif, cela montre qu’elle le disait souvent, qu’elle l’a peut-être écrit souvent. C’est un discours permanent.

Guy Rosa : Imaginons qu’on tombe sur un texte de Julie Charles disant « Ah si le temps pouvait suspendre son vol… »

Pierre Georgel : Non, car « Le lac » n’est pas une situation récurrente.

Guy Rosa : Et la réalité génétique du texte est toute différente.

Pierre Georgel : peut-être que la lettre a déclenché le désir d’écrire le texte. Mais l’imparfait indique un discours récurrent.

Brigitte Buffard-Moret : l’imparfait ne signale pas forcément une répétition. Il peut être descriptif (tableau).

Guy Rosa : Ce texte est une mise en vers d’un texte de Juliette.

Pierre Georgel : Non et non. Ce texte n’est pas que cela. Par ailleurs, Hugo note des propos de son entourage, et on peut croire que ce sont parfois des propos de Hugo. Le thème de cette lettre devait être fréquemment décliné. Mais la présence écrite de la lettre a pu avoir un effet déclencheur. On a d’autres exemples de propos notés qui sont ensuite insérés dans des textes de Hugo.

Guy Rosa : Beaucoup de propos de Gavroche sont des choses entendues.

Brigitte Braud-Denamur : Il y a quand même une notable différence : on passe du « je » d’une femme plaintive à un « elle disait ». Dans un cas, il y a un reproche, et dans un autre, une sorte de « regardez comme je suis beau ».

Brigitte Buffard-Moret : Hugo a peut-être tout simplement trouvé que ce qu’elle écrivait était très beau. On peut penser aussi à tous les emprunts de Musset à Sand.

Guy Rosa : Je ne portais pas un jugement moral. C’est quand même fort et peu banal. On n’a pas intérêt à réduire l’originalité de la situation – et de la découverte de Florence Naugrette – en disant que c’est tout à fait normal.

Pierre Georgel : cela peut nous inciter à prendre au sérieux les troisièmes personnes chez Hugo.

Guy Rosa : Cela ébranle la conception habituelle que l’on a de la poésie lyrique.

 


Communication de Giusy Pisano : La vue et le regard de Serge Pimenoff, empreints de la méthode hugolienne : l'adaptation des Misérables (Jean-Paul Le Chanois, 1957) (voir texte joint)


Discussion

Pierre Burger : Vous avez parlé de cinémascope. Mais si je me souviens bien, on n'en diffusait qu'au Kinopanorama à la Motte-Picquet. Est-ce que ce film a eu un succès populaire ?

Guy Rosa : Oui, ce n'était pas un cinéma d'art et d'essai.

(Groupe : Il y avait Bourvil. C'était diffusé partout...)

Guy Rosa : Il y a dans le parti communiste une orientation patriotique qui n'est pas partagée par tout le monde. Thorez et Aragon en sont. C'est cette orientation qui utilise Hugo. Le numéro spécial Victor Hugo d'Europe, revue proche du parti, en février-mars 1952, témoigne de cette orientation d'une partie du parti communiste d'alors. Le Chanois était proche du parti communiste. Dans ces années-là, Hugo est un point d'ancrage de la politique d'un certain nombre de dirigeants et de militants, dans leur rapport à la société française et à la culture. Communisme national et patriotique + politique d'union de la gauche. Toute la génération Albouy, Ubersfeld, Seebacher est affiliée au parti communiste quand ils commencent à travailler sur Hugo. Pendant toute une époque, travailler sur Hugo collait cette étiquette.

Pierre Georgel : Quelles sont les autres positions face à Hugo parmi les intellectuels et critiques communistes de l'époque?

Guy Rosa : Il y a la position, illustrée dans notre discipline par Pierre Barbéris (suivi d'autres), qu'on qualifierait aujourd'hui et sans doute à tort de "gauchiste" ou de "stalinienne". Il y a, dans l'un des premiers numéros de la revue Littérature un article typique de Barbéris destiné à peindre Hugo en idéologue bourgeois - par opposition à Stendhal et Balzac, eux vrais progressistes en ce qu'ils osnt "critiques".

Françoise Chenet : Marx qualifie Hugo d'écrivain bourgeois.

Guy Rosa : Mais c'est dans un texte de 48 ou de 52, qui ne tient pas du tout compte du Hugo de l'exil. Sur le film : c'est un film qui a été perçu comme esthétisant, ce qui est curieux pour un film que la critique dit « militant ».

Yvette Parent : les divisions dans le parti communiste étaient plus formelles que réelles. Il y avait toute une veine anti-intellectualiste qui s'attaquait à Hugo, avec des gens qui commençaient à quitter le parti communiste. Aragon, lui, réhabilitait Barrès. Il y avait une tendance dans Les Lettres françaises à réhabiliter tous les écrivains français. Hugo a été l'objet d'une lutte de pouvoir.

Denis Sellem : les soviétiques ne retenaient de Hugo que les romans.

Jean-Marc Hovasse : c'est vrai pour beaucoup de pays, pas forcément communistes…

Pierre Georgel : Y a-t-il vraiment au parti un anti-hugolisme fondé sur l'image d'un Hugo bourgeois ?

Guy Rosa : Oui, y compris dans les instances. C'est la ligne héritière de Lafargue.

Françoise Chenet : est-ce que ça n'a pas un rapport avec la résistance ? A l'époque, on voyait le film par rapport à la Résistance. Film militant, dans l'inspiration encore un peu épique de la Résistance.

Arnaud Laster : Il y a une modestie de l'approche du réalisateur. Il n'y a pas d'esthétisme, d'art pour l'art. Il cherche à transcrire comme il peut le roman tel qu'il l'a lu, tel qu'il l'a aimé, avec souvent beaucoup de respect pour un certain nombre de répliques fortes du roman. Il y a des choses très proches du roman.

Par contre, je trouve qu'il n'y a pas d'originalité propre dans ce film.

J'ai de l'estime pour cette adaptation. Ce n'est pas une trahison.

Guy Rosa : Bourvil en tout cas invente un indépassable Thénardier.

Giusy Pisano : Je trouve que certains passages sont très beaux. La scène des funérailles est magnifique, comme une estampe, mais avec des gens en mouvement.

Yvette Parent : Concernant le film, est-ce que nous n'avons pas les moyens de voir le film ?

Arnaud Laster : Il sera projeté à Besançon.

Giusy Pisano  : Il existe en DVD, collection René Château.

Guy Rosa : Votre communication, au moins par son seul objet, est précieuse. On a tendance à laisser tomber les décors dans l'étude des adaptations au cinéma.

Giusy Pisano  : le décorateur est considéré comme un technicien. Il existe très peu de travaux sur sa contribution à la création filmique.

Françoise Chenet : Il n'y a pas que le problème des décors, il y a aussi le problème des éclairages.

Par ailleurs, j'ai un scoop. La maison de Jean Valjean : c'est 47 rue d'Assas, actuellement. J'en suis presque sûre. Deux particularités décisives : elle correspond à ce que Hugo pouvait en voir quand il habitait rue Notre-Dame des Champs. C'est aussi l'exact symétrique de la maison que Jean Valjean prétend habiter quand il donne une fausse adresse.

J'ai une question : le film a-t-il un rapport avec l'expressionisme allemand ?

Giusy Pisano   : Non.

Pierre Georgel : Qu'est-ce que Pimenoff a retenu de l'enseignement des constructivistes ? Car on sait qu'il les a connus et fréquentés mais on ne s'en douterait pas à voir les images que vous avez montrées.

Giusy Pisano   : Il restait considéré comme un technicien, et se situait comme tel.

David Stirner