Présents : Mmes Claude Millet, Dayane Mussulini, Priscila Alomingues, Josette Acher, Yvette Parent, Kathryn Grossman, Myriam Roman, Claudie Bernard ; MM. Pierre Georgel, Jordi Brahamcha, Vincent Wallez, David Stidler, Hisashi Mizuno, Bernard Leuilliot, Jean-Pierre Langellier, Bradley Stephens, Arnaud Laster, Tristan Leroy, Pierre-Antoine Bourquin, Franck Laurent.

Informations

Claude Millet souhaite la bienvenue aux participants qui viennent de loin, voire très loin. Jean-Marc Hovasse, absent, salue les membres et transmet un message d’Eric Bertin, qui a publié une bibliographie très savante et amusante des éditions de Hugo jusqu’à l’exil.

Franck Laurent rappelle à propos de l’exposition sur le baron Taylor qui se tient dans une galerie du Ixe arrondissement de Paris l’importance des Voyages pittoresques. C’est une des plus grandes réussites éditoriales de tout le siècle, et un vecteur essentiel de la formation de l’identité nationale en France. Le baron Taylor est une immense figure de la vie culturelle.

Pierre Georgel précise que Hugo est dans la liste des souscripteurs des Voyages pittoresques.

Vincent Wallez invite à aller voir la statue du baron Taylor près du boulevard Saint-Martin.

Jean-Pierre Langellier fait circuler l’édition du Un (n° 7) consacré à l’Europe et dans lequel se trouve un extrait du discours d’ouverture du Congrès de la paix du 21 août 1849.

Arnaud Laster souligne le nombre incalculable d’événements liés de près ou de loin à Hugo. Il fait quelques annonces pour mémoire. En dehors du festival, Hugo et Tolstoï sont de retour sera joué en juin. Un CD sur le bestiaire de Victor Hugo est en train de sortir, et une soirée de présentation aura lieu le 4 juin près du métro Duroc, à la brasserie François Coppée. Signalons la cinquième mise en scène de Lucrèce Borgia en 2015. Le spectacle La cour des miracles mérite une mention : c’est tout à fait digne d’estime. Hernani est mis en scène par Christine Berg. La mise en scène est extrêmement intelligente, Don Carlos est prodigieux, mais le rôle titre n’est pas à la hauteur. Un Marie Tudor se joue au Théâtre de Nesle.


Communication de Jordi Brahamcha-Marin : La poésie de Victor Hugo dans les anthologies (1919-1949) (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet. Je vous remercie pour cet exposé si bien documenté, et cette belle réflexion. C’était extrêmement intéressant. Une question pour ouvrir le débat : comment les anthologies prennent-elles en compte la variété métrique mais aussi la présence massive de l’alexandrin chez Hugo, et souvent dans les plus beaux poèmes ?

Jordi Brahamcha. D’un point de vue de métrique, c’est plutôt la question de la strophe et de la longueur du poème qu’il faudrait regarder, plus que le vers en lui-même. Hugo est associé à une idée d’abondance, de copia, ce qui fait que contrairement à d’autres poètes on cite des textes longs, quitte à les couper. On ne peut pas citer un sonnet, même s’il en écrit à la fin de sa vie.

Claude Millet. Il a pourtant écrit des poèmes très courts.

Jordi Brahamcha. Cela est vrai.

Franck Laurent. J’ai deux petites remarques. A propos des Chansons des rues et des bois, c’est un bel exemple de la grande mobilité idéologique de la réception. En 1865, c’est le recueil qui soulève une levée de boucliers, pour des raisons morales et idéologiques. L’extrême-gauche et la droite bonapartiste saisissent l’occasion de se venger du succès des Misérables. Se déchaîne alors une hugophobie de gauche et de droite. L’Art d’être grand-père sera victime de la même chose. Or, plus tard, ces textes seront l’image d’un Hugo gentil, désamorcé politiquement. À propos des Châtiments, ensuite : ces textes ont été utilisés par la Résistance...

Jordi Brahamcha. Dans les manuels scolaires de l’entre-deux-guerres, Châtiments est partout. Il y avait un terreau pour que les résistants l’utilisent.

Bernard Leuillot. Je n’ai jamais entendu parler de Victor Hugo durant toute ma scolarité. J’ai eu Michard, en khâgne, à Henri IV. Il ne commentait pas Victor Hugo. Par conséquent, lorsque vous dites que les gens étaient censés connaître Victor Hugo par les manuels, mon expérience prouve le contraire. Il faudrait donc préciser les choses : Hugo a été un auteur pour les élèves de l’école communale. Des distinctions sont à établir dans l’institution scolaire.

Jordi Brahamcha. Dans une autre communication, j’avais plus insisté sur les manuels et la réalité de la pédagogie. Il est difficile de mesurer exactement la présence de Hugo en classe, et il peut effectivement y avoir un hiatus avec sa présence dans les manuels. Quoi qu’il en soit, Hugo est dans les programmes, tombe aux concours, etc… Les élèves ne peuvent pas totalement l’ignorer. Quant à l’anthologie de Maulnier, elle est tellement caricaturale dans son choix que même Brasillach émettait des réserves.

Pierre Georgel. J’aimerais que vous explicitiez les bornes de votre communication. Qu’avez-vous visé avec 1949 ?

Jordi Brahamcha. Je voulais inclure Gide qui répond à Maulnier.

Pierre Georgel. D’un côté Fargue, de l’autre Aragon : comment les situer ?

Jordi Brahamcha. Aragon est spécifique, car sa poésie est nourrie de Hugo.

Pierre Georgel. J’ai été surpris de voir qu’il n’y avait aucune anthologie de gauche. Les écrivains du Front Populaire n’ont rien produit de cet ordre ?

Bernard Leuillot. Aragon a pris prétexte d’un anniversaire sabordé en 1935 par le gouvernement pour remettre Victor Hugo au centre. Par ailleurs, pendant les années 1920, les surréalistes sont en faveur de Hugo. Ensuite, le surréalisme en 1935 n’est plus ce qu’il était. C’est Aragon qui est le prometteur du retour à Hugo. A la Libération, René Char crée une polémique, et Aragon lui répond dans Avez-vous lu Victor Hugo ?. Puis l’un et l’autre couperont ce qui concernait cette polémique de 1945.

Arnaud Laster. Je confirme ce que disait Bernard Leuillot. Lagarde, à Louis-le-Grand, est tout entier dans un chapeau du Lagarde & Michard sur « Demain, dès l’aube… » que je vous invite à relire. Par rapport à l’excellent exposé que vous venons d’entendre, je rappelle que Hugo a répondu à Leconte de Lisle. Quant à l’idée de la non-pensée, elle a circulé à travers Baudelaire et Proust mais positivement.

Claude Millet. Ce qui circule, c’est quelque chose qui n’a plus rien à voir avec l’intelligence ou la bêtise, mais qui fait référence au mystère, à la vision, etc…

Franck Laurent. En effet, c’est le problème du Hugo visionnaire. Dans la critique baudelairienne, Hugo approfondit la vision pour arriver à la Vision.

Arnaud Laster. Il y a des pages entières de Péguy sur « Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été.. ». Ensuite, Soupault est passé par le mouvement Dada. Dans le milieu surréaliste, j’ai l’impression qu’il y a une sympathie pour Hugo grâce à Desnos…

Bernard Leuillot. …après la période des rêves.

Arnaud Laster. Absolument. Ensuite, rappelons qu’Éluard a écrit un texte magnifique : « Hugo poète vulgaire ». Il exalte cette vulgarité comme une qualité. Par ailleurs, la comparaison entre les manuels et les anthologies est très intéressante. Cela renvoie à la question du goût, qui est forgé par les manuels scolaires.

Claudie Bernard. Certaines anthologies sont signées par de grands noms de créateurs. D’autres sont dues à des professeurs. Y a-t-il une différence dans leur présentation ? dans leur réception ? dans les publics visés ?

Jordi Brahamcha. C’est une question difficile. De grands écrivains se permettent plus d’audaces que des inconnus. Mais la notoriété n’est sûrement pas le critère le plus pertinent. Enfin, toutes les anthologies ne sont pas diffusées de la même manière.

Bernard Leuillot. Gide, c’est la Pléiade. Maulnier, c’est Gallimard.

Franck Laurent. Je voudrais revenir sur la question de l’école. À mon avis, il ne faut pas surestimer l’influence de l’extrême-droite sur l’école de Vichy. Il y a eu des effets d’annonce qui n’étaient pas toujours suivis de réalités. Un témoignage raconte qu’un allumé voulant faire découvrir Léon Bloy a été renvoyé, et le nouveau professeur enseignait Corneille et Racine.

Bernard Leuillot. Moi, on me faisait coller des timbres représentant Pétain.

Franck Laurent. D’accord, mais l’entropie de l’institution scolaire a considérablement limité les ambitions du régime.

Bernard Leuillot. Il était de bon ton dans les milieux intellectuels de lire l’Action Française parce que c’était bien écrit. Mais ce n’était pas forcément une allégeance absolue. Paulhan lisait par exemple l’Action Française.

Hisashi Mizuno. Il faut se demander à quoi sert une recherche sur la réception de Hugo. Vous avez parlé de Nerval. De quel Nerval parle-t-on ? C’est un Nerval inventé par la génération du symbolisme. Mais avant le symbolisme, Nerval n’a pas cette image. C’est la recherche qui a permis d’établir cela. En fouillant dans la réception, nous pouvons connaître les points de vue successifs qui ont été apportés. Au fond d’une recherche, il faut poser cette question-là.

Arnaud Laster. Je vais essayer de répondre à cette question. Dans une étude « Victor Hugo raconté aux lycéens », j’avais un but démystificateur. Les manuels scolaires peuvent diffuser toute une idéologie, et il importe d’en être conscient. Dans Lagarde & Michard, Hugo est fortement représenté. Mais les textes d’accompagnement sont redoutables. Ils ont une partie de responsabilité dans le mépris pour son théâtre.

Franck Laurent. Je suggère à Jordi d’écrire un chapitre sur les souvenirs des hugoliens…

Vincent Wallez. Je me pose des questions par rapport aux éditions utilisées pour établir les anthologies.

Jordi Brahamcha. Pour Gide, on le sait. Pour d’autres c’est plus compliqué.

Claude Millet. Il y a des stratégies de distinction : Hugo, c’est vulgaire. C’est un poète pour instituteur rural. Ce n’est pas chic, c’est radical-socialiste, c’est de la franc-maçonnerie de village.

Franck Laurent. Et il fut un temps où il était de bon goût d’aimer La Fin de Satan, Choses vues, et les dessins. Le reste…

Vincent Wallez. Il y a aussi un enthousiasme du néophyte.

Arnaud Laster. Il se trouve que j’ai été anthologiste pour Folio Junior, avec un public d’adolescents. J’avais précisé que je voulais éviter les étapes trop connues. Dans une deuxième édition, j’ai réintroduit quelques poèmes incontournables, parce que ce n’était pas un bon choix d’éliminer ces textes. Voilà le genre de problèmes auxquels se heurte un anthologiste.

Franck Laurent. Vous trouverez dans « Les regardeurs » de France Culture l’interview d’un surréaliste tardif à propos de l’exposition Victor Hugo. C’était un discours convenu. Hugo poète est nul, mais c’est un créateur graphique. Enfin, la promotion de Dieu et La Fin de Satan  vient de L’Âme romantique et le rêve de Béguin. En relisant ce critique, on voit une stratégie explicite : promouvoir le Hugo métaphysique pour le couper de la question sociale.

Claude Millet. Il me reste à vous remercier encore une fois pour cette très belle communication.

Jordi Brahamcha. Je remercie tous les membres pour leur écoute et leurs remarques.

 David Stidler