Présents : Josette Acher, Patrice Boivin, Chantal Brière, Bernard Le Drezen, Pierre de Galzain, Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Caroline Julliot, Hiroko Kazumori, Franck Laurent, Arnaud Laster, Claude Millet, Claire Montanari, Yoshihiko Nakano, Florence Naugrette, Yvette Parent, Marie Perrin, Sylvie Vielledent, Judith Wulf et Jean-Claude Yon.

Informations

Réforme des universités

Claude Millet commence la séance en résumant le contenu du projet de réforme des universités et en rappelant l’inquiétude légitime des enseignants-chercheurs. Le projet de réforme en contient en réalité plusieurs : réforme de la formation des enseignants du primaire et du secondaire, réforme du statut des enseignants-chercheurs, réforme du statut des doctorants, démantèlement du CNRS au profit d’agences spécialisées, suppression de 900 postes à l’université.

Ce qui a provoqué la mobilisation sans précédent des enseignants-chercheurs est sans doute la volonté affichée par le gouvernement de réformer leur statut. Ce statut, fixé par un décret de 1984, leur accorde 192 heures d’enseignement et garantit leur indépendance vis à vis des instances de tutelle et de l’administration. Les instances d’évaluation des enseignants-chercheurs sont collégiales ; ses membres sont pour une part majoritaire élus, du moins pour le CNU, la nouvelle AERES nommant déjà intégralement les experts auxquels elle a recours pour l’évaluation des équipes.

Selon le projet de réforme, ils seraient désormais nommés, ce qui change tout et ne garantit plus leur indépendance. Jean-Claude Yon reproche en outre à ce projet de ne plus désigner l’enseignement que comme une forme de punition : les chercheurs n’ayant pas suffisamment publié se verraient attribuer une charge d’enseignement plus importante. Cela permettrait au ministère de réduire les heures supplémentaires des enseignants-chercheurs… mais aurait un effet très pervers : pour avoir un bon dossier de recherche, les enseignants-chercheurs seraient implicitement invités à négliger la qualité de leurs cours.

Claude Millet souligne que les conditions de travail des enseignants-chercheurs se sont dégradées et que les charges administratives dont ils doivent s’occuper ont considérablement augmenté. Beaucoup d’enseignants-chercheurs sont en « surtravail ». Le mépris dont fait preuve le gouvernement pour leur métier ne contribue pas à améliorer le dialogue.

La question de la réforme de la formation des enseignants du primaire et du secondaire est, elle aussi, très problématique. On accouplerait le CAPES au Master, ce qui ne satisferait personne, dans la mesure où ceux pour qui la formation professionnelle est une priorité plaindraient d’une baisse de la formation pédagogique, tandis que ceux qui placent la priorité dans la formation disciplinaire  regretteraient la diminution de celle-ci. L’enseignement octroyé aux étudiants passant le CAPES ferait preuve d’un manque d’exigence scientifique inquiétant : les étudiants préparant le CAPES d’histoire, par exemple, verraient leur programme réduit à la maîtrise et à la connaissance des manuels scolaires. L’oral des CAPES de Langues vivantes  se limiterait à une épreuve ressemblant fort à un entretien d’embauche. En lettres, l’enseignement de l’ancien français, de la grammaire, d’une langue vivante et du latin verront leur part réduite par la définition même des épreuves du CAPES. Par ailleurs, le nombre de postes au CAPES ne cesse de diminuer. On préfère de plus en plus faire appel à des vacataires au statut précaire et à la formation moindre. Sans parler des diminutions de postes à l’agrégation.

Si cette réforme était appliquée, elle aurait pour effet de vider l’effectif des Masters Recherche. Elle risque aussi de nuire gravement au concours de l’agrégation. Les étudiants devraient en effet terminer leur Master avant de se présenter à ce concours. La situation financière de nombre d’étudiants leur interdirait malheureusement ce luxe.

La réforme, menée sans concertation, est censée s’appliquer dès septembre 2009.

 

Publications

Claude Millet fait circuler l’édition de Notre-Dame de Paris que vient de faire paraître Marieke Stein chez GF. Sa thèse, portant sur l’éloquence de Hugo et menée sous la direction de Guy Rosa, a été publiée chez Champion. Claude Millet souligne aussi la qualité de son livre sur Victor Hugo paru dans la collection « Idées reçues ».

Yvette Parent signale que les éditions Robert Laffont n’ont pas prévenu les libraires de la réimpression du tome 2 – Roman – des Œuvres Complètes de Hugo dans la collection « Bouquins ». La reproduction de l'assignat vendéen manque toujours.

 

Spectacles et manifestations

Arnaud Laster rappelle que le festival Hugo-Egaux a commencé. Il en distribue le programme.

Yvette Parent annonce qu’au studio Casanova d’Ivry aura lieu, le 4 avril à 17 h, une lecture-débat sur le thème de l’Insurrection – 1789-1871-2009 – sur des textes de Paul Lafargue, Blanqui, Louise Michel et Victor Hugo. Arnaud Laster juge le mélange amusant dans la mesure où Lafargue a écrit un pamphlet féroce contre Victor Hugo.

 

Programme

Jean-Claude Fizaine présentera lors de la prochaine séance, le 21 mars 2009, une communication sur les animaux chez Hugo. Franck Laurent parlera, au mois d’avril, de Torquemada.

 


Communication de Jean-Claude Yon  : Le statut administratif de la Comédie Française et du Théâtre de la Renaissance à l'époque d'Hernani et de Ruy Blas (voir texte joint)


Discussion

Sur la question des genres

CLAUDE MILLET : Merci beaucoup. Ton travail montre que l’on ne peut pas faire l’histoire du théâtre sans buter sur la question de la multiplication et de l’intrication des genres, et qu’on ne peut, à l’inverse, parler des genres au théâtre, à partir de la fin du XVIIIe siècle, sans se confronter sérieusement à la question des théâtres. Il y a une interaction forte entre les deux. C’est d’autant plus compliqué que l’on s’aperçoit que la définition des genres, à l’époque, est à la fois appliquée et vouée à être dépassée. La Comédie-Française, par exemple, monte souvent des mélodrames et des vaudevilles – qui ramènent plus de spectateurs que les tragédies – alors que ce n’est pas sa vocation. On a affaire à un système très contraignant qui, en même temps, est sans cesse « bricolé » et renversé.

PIERRE GEORGEL : Ce sont des problèmes qui se vérifient d’ailleurs dans d’autres domaines de l’histoire culturelle. On pourrait par exemple parler du musée du Luxembourg.

Je suis, quant à moi, intrigué par une formule que vous avez utilisée, celle d’ « opéra de genre ». S’agit-il d’une véritable notion ? On pense, dans le même ordre d’idée, à la peinture de genre…

JEAN-CLAUDE YON : C’est un terme que l’on retrouve régulièrement dans la presse de l’époque.

PIERRE GEORGEL : La peinture de genre est définie par le code académique. Il s’agit d’un genre réaliste, non noble. Il traite des mœurs sur un mode de bonhomie. On employait, pour la peinture de genre, des formats moyens. Les grands formats étaient réservés aux genres nobles. Courbet a accompli une révolution en utilisant pour des scènes de genre le même format que pour les peintures historiques.

JEAN-CLAUDE YON : Cela correspond très bien à la définition de l’opéra de genre.

CLAUDE MILLET : Peut-être faudrait-il aussi rapprocher ce type d’opéra de la danse de caractère. On oppose les ballets blancs aux ballets de caractère, c’est-à-dire aux ballets folkloriques, proposant une représentation pittoresque des mœurs.

FRANCK LAURENT : Merci beaucoup pour votre intervention, passionnante, et qui montre qu’au théâtre, on ne peut pas se contenter d’évoquer la poétique des genres. La hiérarchie des genres est pratique pour l’administration théâtrale. Cela lui permet, entre autres, de gérer facilement la concurrence. La pression de l’administration tend à donner un poids considérable à la division des genres… et en même temps, cette pression implique aussi, paradoxalement, leur déstructuration. On cherche à parasiter leurs frontières. Cela rend finalement peu valide une réflexion « poético-essentialiste » sur les différences entre les genres.

 

Le programme du théâtre de la Renaissance

FLORENCE NAUGRETTE : Que deviennent Hugo, Dumas et Delavigne, pourtant à l’origine du théâtre de la Renaissance ? Quelle influence ont-ils pu avoir sur Joly ?

JEAN-CLAUDE YON : Je n’ai, malheureusement, que des documents administratifs. Je n’ai pas vraiment de moyens de savoir ce qui s’est réellement passé. Hugo semble s’être rapidement désintéressé du théâtre de la Renaissance, après avoir fait jouer Ruy Blas. Aucune pièce de Dumas n’y a été présentée au public. Delavigne y a quand même donné La Fille du Cid.

CLAUDE MILLET : Joly dit que son théâtre présente des drames au public. Il me semble que c’est un peu exagéré : on y voit surtout des mélodrames.

JEAN-CLAUDE YON : C’est juste. Le programme initial a été abandonné rapidement. Au fond, le seul drame qui ait vraiment été présenté sur la scène du Théâtre de la Renaissance, c’est Ruy Blas. Dès que le genre lyrique est autorisé, le programme change.

DELPHINE GLEIZES : Pourquoi n’y a-t-on pas vraiment joué de drame ? Est-ce pour des raisons économiques ou parce que l’on peinait à trouver des auteurs ?

JEAN-CLAUDE YON : Les deux raisons que vous avez évoquées se sont sans doute conjuguées. 

 

La salle du théâtre de la Renaissance

SYLVIE VIELLEDENT : Il y a un passage, dans Les Misérables, où Cosette dit : « Il était une fois un roi et une reine ». Je me suis demandé si Hugo ne faisait pas ainsi allusion à la pièce dont vous avez parlé.

J’ai lu les critiques de l’époque sur Ruy Blas : elles étaient véritablement assassines. Les journalistes tiraient souvent argument de la beauté de la salle pour critiquer le caractère « bancal » de la pièce. Dans Le Spectateur, on loue la salle et on ajoute que l’édifice dramatique de Hugo est, en comparaison, bien décevant.

ARNAUD LASTER : J’ai, moi audemandé si Joly n’avait pas payé des journalistes. On le complimente aussi sur la bessi, été frappé par les éloges faits à la salle de la Renaissance. Je me suis même auté des jeunes ouvreuses…

JEAN-CLAUDE YON : Joly a vraiment joué la carte du luxe. Le foyer était apparemment magnifique. La salle était blanc et or. Les journalistes ont souvent insisté sur la prétendue harmonie de la salle. Elle avait pourtant fait l’objet d’un rétrécissement. Elle était beaucoup trop grande et difficile à chauffer.

CLAUDE MILLET : Peut-on revenir sur cette histoire du rétrécissement ?

JEAN-CLAUDE YON : Même après les travaux, elle est encore trop vaste. L’Opéra Comique, qui succèdera au Théâtre de la Renaissance, n’occupe les lieux que trois ans. Sa capacité est trop importante, même si Joly avait tenté de la ramener à un format viable.

CLAUDE MILLET : Tu as dit, dans ta communication, que Joly avait également fait rétrécir le cadre de la scène. Pour quelle raison ?

JEAN-CLAUDE YON : Il aurait sans doute fallu une troupe beaucoup plus importante pour meubler le vide d’une scène trop grande.

CLAUDE MILLET : J’ai aussi l’impression qu’on cherche, à l’époque, à créer des tableaux un peu saturés, comme si on avait peur du vide sur la scène (peur que l’on retrouve dans la décoration intérieure des espaces privés).

YVETTE PARENT : A quoi servait la salle avant de devenir le Théâtre de la Renaissance ?

JEAN-CLAUDE YON : Je ne sais pas exactement. Elle avait été construite en même temps que la place, pendant des travaux d’urbanisme. Elle est devenue, en 1878, une annexe de la Banque de France.

ARNAUD LASTER : On trouve maintenant dans ses locaux un petit théâtre utilisé par le comité d’entreprise de la Banque de France, mais la salle initiale n’existe plus…

 

Faire survivre un théâtre

JOSETTE ACHER : Le fait que la plupart des théâtres se trouvent sur la rive droite témoigne-t-il de la part du ministère d’une peur des étudiants du quartier latin ?

JEAN-CLAUDE YON : Non, je ne pense pas. Les étudiants traversent les ponts pour aller chahuter la Comédie-Française. Il n’y a pas le public nécessaire pour qu’un théâtre s’implante sur la rive gauche. Cela ne serait pas rentable.

FRANCK LAURENT : Je voudrais revenir sur le problème du financement du théâtre. Puisque, dans les débuts du moins, Joly demande à ce que son théâtre obtienne le statut de deuxième Théâtre-Français, on pourrait supposer qu’il a aussi demandé une subvention. Pourtant, il semble que la question est d’emblée écartée.

JEAN-CLAUDE YON : C’est juste. Je pense que Joly a préféré ne pas en demander. Il cherchait d’abord à obtenir l’autorisation d’ouvrir un théâtre : il n’a sans doute pas voulu irriter le ministère en demandant, en plus, une subvention. Cela n’était d’ailleurs pas un mauvais calcul de sa part. Le Théâtre Lyrique, plus tard, sous le Second Empire, a procédé de la même façon. Il n’a demandé une subvention que lorsque son succès s’est révélé incontestable.

FRANCK LAURENT : En comparant les différents arrêtés que vous nous avez communiqués, on voit une sorte d’entreprise de coulage se dessiner en filigrane. Le troisième arrêté supprime la tragédie et multiplie les contraintes, à propos de l’engagement des comédiens en particulier. Est-ce à cause de la pression de la Comédie-Française ou y a-t-il des raisons politiques sous-jacentes ? On sait par exemple que le projet reposait beaucoup sur le soutien du duc d’Orléans. Y aurait-il eu un retour de bâton de la part de la partie la plus conservatrice de la Maison Royale ?

JEAN-CLAUDE YON : J’ai le sentiment que le gouvernement a accepté en 1836 l’ouverture du théâtre pour montrer qu’il n’était pas répressif. Il s’est ensuite très rapidement désintéressé du projet et a cherché sans cesse à minimiser les choses. Joly semble être très seul pour mener son combat. Il écrit sans cesse au ministère, mais la volonté politique de ce dernier est très artificielle. Joly a, au départ, bénéficié d’un simple effet d’annonce.

FRANCK LAURENT : Il semble en effet que le coulage de son théâtre avait commencé avant même la première représentation de Ruy Blas.

 

Hugo et le Théâtre de la Renaissance

FRANCK LAURENT : On dirait que l’histoire du rapport de Hugo au Théâtre de la Renaissance est très différente de ce que Mme Hugo en dit dans le Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. Elle raconte, par exemple, que Hugo était d’emblée contre le fait que le lyrisme apparaisse dans la liste des privilèges du théâtre. Or vous nous avez présenté un document allant dans le sens contraire signé de la main de Hugo.

JEAN-CLAUDE YON : Oui, il me semble qu’il y a, dans le Victor Hugo raconté, réinterprétation, et sans doute justification a posteriori de son désintérêt pour le théâtre de la Renaissance.

 

Sur l’importance du lieu théâtral pour interpréter les pièces

CLAUDE MILLET : Je suis frappée par le fait que Ruy Blas ait été joué, pour la première fois, dans une salle magnifique. J’ai de plus en plus envie de revenir sur l’interprétation qu’on a pu faire de Ruy Blas comme drame révolutionnaire, et ce simple fait confirme en partie mon impression. Cela permet de recadrer la lecture même de la pièce :  Ruy Blas ne représente pas la figure avant-coureuse d’une révolution à venir, mais d’une révolution à conjurer.

FRANCK LAURENT : A cette époque, Hugo pense que le rôle du poète est de dire aux puissants que, s’ils ne prennent pas garde aux conditions dans lesquelles vit le peuple, il pourrait y avoir une nouvelle révolution.

CLAUDE MILLET : Oui : il s’agit d’une mise en garde. Une mise en garde contre-révolutionnaire, mais qui a une dimension progressiste évidente. Hugo, au fond, cherche à éviter la révolution. La dimension libérale de son discours peut encore être entendue par la monarchie.

Claire Montanari