Présents : Guy Rosa. David Charles, Myriam Roman, Laure Esposito, Colette Gryner, Hélène Labbe, Marguerite Delavalse, Jean-Marc Hovasse, Frédéric Di Serio, Marthe Machorowski, Jean-Charles Angrand, Josette Acher, Claude Millet, Franck Laurent, Jean-Claude Nabet, Véronique Dufief. Bertrand Abraham, Bernard Leuilliot, Ludmila Wurtz.
Informations
- A l'Université de Montréal a eu lieu un cycle de conférences sur Hugo, traitant de la parole dans le théâtre (A. Ubersfeld). de la métaphysique dans la poésie de Hugo (A. Brochu), (le la pensée du roman (J. Neefs)…
- Les 29 et 30 janvier auront lieu deux journées Marie Tudor, à l'initiative de l'Université Paris XII (Créteil Val de Marne) et de la Maison des Arts et de la Culture de Créteil.
- Un scoop! annonce G. Rosa. L'étude génétique de l'épisode du couvent dans Les MisérabIes (position des différentes additions dans les marges, examen des numérotations de pagination. chronologie des intercalations) lui a permis de découvrir que Hugo n'avait pas demandé à Léonie Biard d'abord d'interroger sa tante sur le couvent et ensuite de vérifier si les religieuses se trouvaient toujours rue Neuve-Sainte-Geneviève: il s'est au contraire d'abord assuré de la présence des religieuses dans le couvent de la rue Neuve-Sainte-Geneviève. L'utitilisation de Léonie est assimilable, à cet égard, à celle qu'a faite Hugo de Théophile Guérin pour la vérification de la topographie des lieux décrits dans les romans. (Visages médusés dans l'assistance).
Calendrier:
16 janvier: F. Laurent, "Espace et politique (l'Europe) avant l'exil"
20 février: C. Millet, "L’inspiration dans les recueils d'avant l'exil"
20 mars: J.-C. Fizaine, "Gautier/ Hugo"
M. Fizaine, "L'esthétique de L'Evénement"
10 avril: P. Laforgue, "Les Chansons des rues et des bois"
15 mai: B. Leuilliot, "Le Beau et la Science"
19 juin P. Georgel, "Les limites, le cadre dans les dessins de Hugo"
Communication de Frédéric Di Sério : «Le dialogue romanesque dans Han d'Islande»
Discussion
- On se demande, l'espace d'un instant, si le thymus dont dérive la fonction thymique a quelque chose à voir avec le Jumos grec; déjà, on échafaude une nouvelle théorie des passions. les esprits s'enflamment... mais la lecture du Bailly fait retomber ce bel enthousiasme "Thymus" vient de Jumos, "thym", et par extension "excroissance charnue", et non de Jumos, "l’âme", et par extension "le cœur, considéré comme le siège des sentiments et des passions". Tant pis.
- C. Millet: les typologies à l'œuvre dans cet exposé sont des typologies fonctionnelles. Le lecteur et le critique sont habitués à ce que "ça ne marche pas", à ce que les critères de bon fonctionnement du dialogue ne soient pas satisfaits, que ce soit dans le théâtre ou la poésie. Ces dysfonctionnements intrinsèques du dialogue rejaillissent nécessairement sur le fonctionnement "extrasèque" (la fonction diégétique) du dialogue dans le roman. Dans la mesure où tout dialogue a valeur d'événement, on peut supposer qu'un dialogue qui "ne marche pas" entre dans la diégèse en tant qu'événement qui n'a pas eu lieu. Dès lors, si les "ratés" du dialogue sont un événement, comment peut-on parler, à propos de Hugo, d'une "pleine confiance dans la langue"?
D'autre part, on ne peut pas se contenter de dire que le dialogue a une fonction d'euphorisation du récit, ou que Hugo "fait du Walter Scott": la fonction diégétique du dialogue est à relier à la théorie de Hugo du "roman comme drame", qu'on se réfère au passage de "Littérature et philosophie mêlées" consacré à Walter Scott ou à la Préface des Odes de 1826, où Hugo parle de l'évacuation de l'épique. La question est donc de savoir comment le roman prend position par rapport au monde. Dans le théâtre et la poésie, une question lancinante, structurelle, est "qu ' est-ce que prendre la parole": le roman apporte sans doute des réponses spécifiques à cette question. Qu’est-ce que dire "je" dans un roman?
- F. Laurent: les dysfonctionnements du dialogue, dans les exemples donnés par l'exposé, ne semblent pas majoritaires. Ils sont toujours liés à l'aliénation de la foule, aux relations de pouvoir entre les interlocuteurs, à l'intimidation exercée par les puissants. Au contraire, les dysfonctionnements sont fréquents dans le dialogue théâtral, et toujours liés à une crise du sujet: la parole n'est pas efficace parce qu'énoncée par un sujet divisé. Dans le roman, ce thème ne semble pas encore apparaître?
V. Dufief estime au contraire que l'embrouillamini des liens familiaux dans Han d’Islande ancre la parole des personnages dans une crise d'identité réelle.
- F. Laurent: oui, mais cette crise d'identité est traitée d'un point de vue encore externe, alors que la parole du sujet théâtral sert à dire sa difficulté à être un sujet.
- V. Dufief: il y a dans Han d'Islande une stratégie du ratage, du lapsus, qui montre qu'il y a du non-dit, et que les prises de parole servent à dramatiser la quête d'une vérité qui n’est pas accessible à la conscience. Dans cette mesure, on petit parler de la confiance de Hugo en un pouvoir de la langue: au niveau de l'intrigue, d'une part, et, d'autre part, en coulisses, en sous-main: seule la parole rend possible l'exploration de l'inconscient à laquelle se livre Ordener. Schumacker, ajoute M. Machorowski, n'arrive pas à se nommer. Oui, poursuit V. Dufief, il se retranche derrière une parole vide, faite de maximes, Il y a dans Han une incessante rectification des liens de parenté: Ordener est au centre d'un jeu de miroir entre, d'une part, le père, la mère et leurs substituts et, d'autre part, le frère, la sœur et leurs substituts.
Il y a, enfin, une réelle dramatisation du roman: la référence à Shakespeare permet d'assimiler le début de Han à la fin de Roméo et Juliette.
- F. Laurent dans Han, l'espace politique est en relation d'homologie avec le drame familial passionnel. L'Islande, ajoute V. Dufief, est considérée comme une mère mythique de laquelle il faut se libérer: le pays restera déchiré par l'anarchie tant qu'un roi ne lui imposera pas son ordre. M. Machorowski remarque que, dans le roman, le pouvoir vient toujours de l'extérieur: la révolte des mineurs, à l'origine d'un nouveau pouvoir, est la révolte de ceux qui vivent sous terre.
- C. Millet s'interroge sur la différence entre la fonction thymique et la fonction pragmatique On peut bien sûr, faire du thymique un argument pour le pragmatique. Mais dans la supplication, on ne peut les distinguer l’un de l'autre. Est-ce que les supplications sont efficaces dans le roman? Non, répond F. Di Jîerio, et cela d'autant moins que les personnages suppliants sont toujours dévorés par la crainte. Han d'Islande, poursuit C. Millet, est un roman frénétique, donc fondé sur l'esthétique de l'émotion. Or, le langage de l'émotion fonctionne mal dans le roman.
- M. Machorowski: peut-être a-t-on tendance à confondre l'émotion qui sous-tend la parole entre les personnages et l'émotion que provoque la parole des personnages chez le lecteur. Même si le langage de l'émotion fonctionne mal entre les personnages, l'émotion du lecteur est bien réelle.
- C. Millet- néanmoins, le dysfonctionnement du langage de l'émotion entre les personnages problématise la place et l'efficacité de l'émotion dans le roman frénétique et dans l’esthétique romantique en général. Han, ajoute F. Laurent, est un roman qui joue de façon décalée avec la norme frénétique. Il y a une volonté de dérision du code.
- F. Di Serio reconnaît que les noms des personnages sont humoristiques et que la construction du roman trahit une volonté de l'excès de la part de Hugo. Mais il souligne la fascination de Hugo devant l'efficacité de la technique frénétique: le roman est fondé presque exclusivement sur le dialogue.
- La pragmatique laisse G. Rosa songeur. Cette école linguistique étudie des phénomènes à cheval sur le langage et sur les situations d'énonciation. Elle se rapproche, selon lui, de la socio-linguistique, dans la mesure où elle propose des grilles d'interprétation qui n'ont plus rien à voir avec l'analyse de faits langagiers clairement repérables. Aussi ces grilles ne peuvent-elles être soumises à aucune vérification rigoureuse. Ce courant linguistique énonce un pur discours sur le réel qui ne s'appuie sur rien de "langagier". D'autre part, il semble à G. Rosa que les visées informative, pragmatique, argumentative et thymique recoupent étrangement les bonnes vieilles fonctions expressive, conative et référentielle; et vont jusqu'à omettre la précieuse fonction métalinguistique. Enfin, les maximes de la conversation (maximes de quantité, de qualité, de relation et de modalité) lui semblent énoncer les normes de la communication américaine! Que Hugo les viole est donc plutôt rassurant. Par ailleurs, si ces catégories fonctionnent, malgré tout, pour la conversation réelle, en les transférant telles quelles à la littérature, ne fait-on pas, finalement, la même chose que nos grands-pères lorsqu'ils se demandaient si Hugo disait "vrai"? Les données du réel n'ont pas à être reproduites par le texte littéraire. Les deux plans (communication réelle / fictive) sont forcément disjoints: le texte fonctionne d'autant mieux textuellement que la communication fonctionne moins bien dans les situations fictives représentées. Ce qui est une énigme pour les personnages n'en est pas une pour les lecteurs.
- B. Abraham suggère que la théorie bakhtinienne (toute parole est parole de l'autre, etc...) est une référence plus productive pour le dialogique. Il signale par ailleurs, à propos de la révolte des mineurs dans Han, que Hugo a recopié le passage stipulant que le pouvoir politique doit hériter des mineurs à leur mort dans un document officiel réel, qu'il reproduit mot à mot, à la seule différence qu'il substitue -mineurs-, dans le roman, à "enfants mineurs", dans le document officiel! De toute évidence, ajoute B. Leuilliot, il y a un jeu, tout a l'ait conscient de la part de Hugo, sur la double signification du mot. Ce thème est d'ailleurs surdéterminé par la révolte réelle des mineurs qui a eu lieu en Angleterre pendant la deuxième campagne de rédaction de Han, et qui est attestée par une dépêche de Chateaubriand.
Ludmila Wurtz